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HALIFAX GROUPES LOURDS FRANCAIS SQUADRONS 346 et 347 R.A.F
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19 octobre 2009

LA GUERRE DES HIBOUX

LA GUERRE DES HIBOUX

En permission

Le 31 août 1944

Ceci n'est pas de la littérature - c'est vrai. Mais c'est triste et vous vouliez du gai. Voyez-vous notre travail n'a rien du "ciel de gloire" d'un turbulent chasseur pas plus que du risque couru en groupe, de jour, par les bombardiers moyens. C'est un travail obscur, mené en solo, dans la nuit traîtresse. C'est chaque fois une affaire de longue haleine qu'il faut mener à bien contre la volonté de l'ennemi et contre les éléments.

On ne nous dit jamais " c'est bien" parce que faire bien est notre devoir et parce que faire mal ne pardonne pas. Mais qu'on ne vienne pas nous dire "ce n'est rien" parce que nous sommes seuls dans l'aviation française à avoir fait cela. C'est notre fierté.

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" La lune se lèvera une heure après notre départ de l'objectif " le navigateur. Astre évocateur de délicieux têtes à têtes aux jours heureux d'autrefois, mais dont, aujourd'hui, la clarté menace ces équipages du Groupe Guyenne qui vont porter la mort et le feu sur l'important objectif d'une lointaine ville Allemande.

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" C'est bien ma veine " pense le Grand Jacques, mitrailleur-arrière du "G" pour Georges, " Ce soir, pas de cigarette fumé en cachette dans ma tourelle, il faudra ouvrir l'oeil et tenir le coup pendant près de 8 heures! "

La première partie du voyage est calme, la nuit est encore noire, la D.C.A. est soigneusement évitée par les 300 avions volant en P.S.V. si près les uns des autres sans se voir.

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La dernière  ville française est laissée à droite. C'est à peine l'Allemagne. Un éclair jaunâtre illumine soudain le ciel. La chasse boche, maintenant là, cherche à éblouir et choisir son gibier.

C'est déjà fort. " Combien à 300 mètres à gauche " signale le mitrailleur-supérieur. Quelques  instants après un des lutteurs explose au sol. Et cette horrible bombe lumineuse, jaune,  qui se balance encore!

Une pensée rapide pour ceux qui viennent de disparaître. Le navigateur note l'heure et lieu, puis le silence reprend à bord

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Curieux "silence" avec comme fond le ronronnement, assourdi par la casque, des 4 moteurs bien synchronisés. Silence vivant que ne trouble pas le chuchotement du navigateur comptant trois fois de suite 36+8=42 avant de s'apercevoir, fatigué, qu'il s'est trompé. Silence quand même, qui permet à l'attention des sept hommes du bord de rester en éveil et à leur esprit de s'échapper.

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Mais voici soudain la voix du bombardier: "projecteurs à gauche -D.C.A. lourde devant et en dessous". L'avion est en tête du courant des bombardiers. Après plus de trois heures de vol une petite erreur de 3 miles l'a jeté, le premier, dans la D.C.A. d'une grande ville allemande qu'il aurait fallu éviter.

Pendant que le pilote dégage son lourd appareil de l'emprise d'innombrables projecteurs et de l'étreinte de la D.C.A. le navigateur un peu houspillé calcule et donne le nouveau cap.

Voici maintenant l'objectif. Pas un avion n'est visible et cependant près de 300 quadrimoteurs commencent déjà à déverser leur terrible chargement. Sous ce splendide feu d'artifice constitué par les projecteurs, les départs de pièces, les éclatements de D.C.A., les grosses bombes et les "flares", les lueurs clignotantes vertes, rouges, et jaunes des marqueurs, l'incendie gronde, une fumée rougeâtre monte et rejoint et se confond avec les quelques nuages complices des assaillants.

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"Nous sommes en retard d'une demi minutes" annonce le navigateur. Ah oui c'est bien là le souci du moment! Les trappes de bombes ne s'ouvrent pas! Le froid? Panne hydraulique? Le mécanicien s'affaire, fait fonctionner le secours. Rien de nouveau. L'objectif approche, le bombardier s'impatiente, le pilote concentre son attention sur ses instruments car il vaut mieux pour lui ne pas regarder au dehors. Trop tard. L'objectif est dépassé. Il faut recommencer. Il faut faire demi tour dans cet enfer, à nouveau serrer les dents, faire appel à toute sa volonté et, pourquoi ne pas l'avouer, vaincre une certaine répugnance. Enfin un cri de triomphe: les portes sont ouvertes, et c'est le deuxième passage sur l'objectif: "Attention chasseur arrière droit dessus, préparez vous à..."

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" Ah zut, " déclare péremptoirement le bombardier, "fermer-là, les mitrailleurs, pour l'instant c'est moi qui commande!" Et stoîque le pilote obéit "un peu à droite... encore... comme ça... et tu n'oublieras pas hein! trente secondes tout droit pour la photo!"

C'est maintenant le retour, sans hâte excessive. Le mécanicien a les yeux rivés à ses jaugeurs: l'avion a été touché sur l'objectif, légèrement certes, mais un réservoir est si vite crevé et l'essence, ce soir, un peu juste! L'expérience précédente d'un retour avec deux réservoirs crevés et un moteur en moins occupe un moment les esprits. Aujourd'hui tout va bien. La cabine avant semble seule avoir encaissé, sans mal pour les occupants.

Reste maintenant à déjouer la chasse. Celle-ci s'acharne sur ceux qu'enivre déjà la fierté d'une mission bien remplie. Tous, hormis le navigateur, participent à la veille. Un micro, resté ouvert, trahit parfois le rythme respiratoire accéléré de quelqu'un à bord: manoeuvre d'une tourelle, effort pour redresser l'appareil engagé dans une évolution de défense.

Que ce retour semble long: jusqu'au milieu de la Manche il faut veiller toujours et manoeuvrer souvent. Sur tout le territoire hostile, ce sont des feux qu'allument les postes de guet, feux qui jalonnent la route où les uns sont déjà posés et que les autres doivent suivre. Périodiquement ce sont des "flares" jaunes des chasseurs dont malgré soi on attend l'éclosion, suivie toujours de courts échanges de rafales et, parfois, de l'écrasement au sol de camarades.

Enfin, c'est la lune qui se lève puis l'aube qui blanchit déchirant le voile noir protecteur.

Maintenant c'est la côte amie, puis la percée sans histoire qui fait surgir à quelques deux ou trois cents mètres le clignotement amical des lumières du terrain.

Après 8 heures d'absence le Halifax a retrouvé son bercail où l'attendait son mécano anxieux.

" De tous les appareils ayant participé à cette expédition, 22 ne sont pas rentrés." Ce résultat peut certes satisfaire l'esprit de gens qui ne sont pas dans les "gros lourds". Pour ceux qui connaissent les efforts déployés afin de ne pas avoir l'honneur anonyme du communiqué cette phrase banale a plus de signification.

Demain ils recommenceront, sur cet objectif ou sur un autre; qu'importe ils reviendront, aussi modestes qu'hier; c'est une tradition chez les lourds.

Mais ils garderont longtemps au coeur une fois la paix retrouvée, l'orgueil d'avoir représenté la France dans le gigantesque effort du "Bomber Command".

(source: Bulletin des Forces Aériennes Françaises en Grande-Bretagne - N° 10 Octobre 1944 - collection: Nicole ROUSSEAU-PAYEN)

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