ARTHUR HARRIS
Lorsque prit fin la Seconde Guerre mondiale, l'étendue des destructions affectant les villes allemandes et les nombreuses victimes civiles des bombardements aériens furent à l'origine de vives et concordantes critiques formulées à l'encontre du Bomber Command de la Royal Air Force.
Ses détracteurs affirmaient que l'offensive aérienne conduite, nuit après nuit, par les équipages britanniques pour gagner la guerre en sapant le moral du peuple allemand n'avais pas atteint son but. En outre, ces attaques, qui avaient semé la ruine et la mort, étaient jugées hautement immorales. Le responsable de cette politique était désigné de manière très claire: l'Air Marshal Arthur Harris, commandant en chef du Bomber Command.
Rapport établi par le capitaine Harris du Royal Flying, en 1917, relatant un combat aérien.
L'officier général faisant l'objet de ces critiques était, certes, un personnage hors du commun, un homme de caractère et d'expérience. Son caractère, il l'avait prouvé très jeunes. Né en Angleterre le 13 avril 1892, lors d'un congé de son père, fonctionnaire civil aux Indes, il reçut l'éducation traditionnelle des jeunes Britanniques.
A seize ans, il entra en conflit avec ses parents, refusant d'accomplir la carrière militaire à laquelle ceux-ci le destinaient. Riche d'à peine 5 livres sterling, Harris n'hésita pas à quitter sa famille pour s'expatrier en Rodhésie, où il fut, tour à tour, fermier, chercheur d'or et conducteur de voitures à chevaux.
Au moment de la Première Guerre mondiale, le jeune aventurier s'engagea comme clairon au régiment de Rhodésie, participant à deux batailles livrées contre les Allemands en Afrique du Sud-Ouest. Lorsque les combats prirent fin, en 1915, il décida de revenir en Grande-Bretagne pour continuer à se battre, à condition, précisa-t-il, que ce ne fût pas dans un régiment d'infanterie, car, disait-il avec humour, il avait tellement marché au cours de sa première campagne qu'il ne voulait plus faire la guerre que dans une position assise.
Grâce à certains appuis, il entra dans l'aviation et, décrochant son brevet de pilote, fut muté en France avec le grade de sous-lieutenant. Au terme du conflit, devenu Major et commandant de squadron, il s'employa à développer la solide expérience aéronautique qu'il avait acquise. Il n'en reste pas moins que le retour au temps de paix avait entraîné des coupes sombres dans les budgets militaires, et la Royal Air Force, en dépit des efforts de son chef, Hugh Trenchard, avait vu ses crédits réduits au minimum.
Celui-ci mit donc au point un moyen ingénieux pour conserver à l'aviation une valeur opérationnelle indispensable. Comme la Grande-Bretagne était confrontée à des problèmes de maintien de l'ordre dans ses colonies, H. Trenchard parvint à convaincre le gouvernement que la façon la plus économique de résoudre ces problèmes était de confier à l'aéronautique la répression des troubles fomentés de façon sporadique par des tribus dissidentes. Harris appliqua, aux frontières de l'Empire, les théories de son chef, bombardant les insurgés et détruisant les villages rebelles.
Harris examine les photographies des destructions effectuées par ses bombardiers en 1944.
Revenu en Angleterre en 1924, il se vit confier le commandement du squadron 58 de bombardement, première unité de bombardiers lourds mise sur pied après les hostilités, et entraîna ses équipages aux opérations de nuit. En 1927, il suivit les cours de l'Army Staff Collège, dont il critiqua l'esprit conservateur et l'étroitesse de vue, puis exerça le commandement d'une base d'hydravions avant d'être muté à l'Air Ministry, où il acquit une grande expérience du travail d'état-major et des relations avec les autres armées.
En 1937, il fut nommé à la tête d'une unité de bombardement et l'année suivante partit pour les Etats-Unis avec la lourde mission d'y acheter des appareils pour le compte de la R.A.F. Prenant, à son retour, la tête des forces aériennes de Palestine et de Transjordanie, il reçut, au commencement de la Seconde Guerre mondiale, le commandement d'un Bombing Group, fonction dans laquelle il devait asseoir sa réputation de chef énergique.
A gauche, Harris mettant au point le plan d'une opération.
En 1941, il fut nommé membre de la délégation permanente britannique aux Etats-Unis, surprenant par sa rude franchise (qu'il exagérait parfois par goût de la provocation) ses interlocuteurs. C'est là, en février 1942, qu'il apprit sa nomination à la tête du Bomber Command. Quand il arriva à High Wycombe, quartier général de l'aviation de bombardement britannique, Harris se trouva confronté à une mission considérable qui lui imposait des raids sur zone de nuit pour lesquels il disposait de moyens très insuffisants.
Jour après jour, avec l'aide de Winston Churchill, il se battit pour obtenir des appareils et mettre au point les dispositifs qui devaient lui donner la possibilité d'améliorer les résultats tout en réduisant les pertes. Il dut aussi lutter afin d'éviter le transfert de la plus grande partie des unités du Bomber Command sur des théâtres d'opérations qu'il jugeait secondaires.
Bien que ses équipages le connaissaient en fait très mal - il quittait rarement son état-major -, ils l'estimaient, et, sans doute, l'admiraient. Beaucoup d'Allemands périrent sous les bombes britanniques: mais c'était la guerre, et les bombardements de Londres et de Conventry n'avaient-ils pas précédé ceux de Hambourg, de Berlin ou de Cologne?
Le ministre de l'Air Charles TILLON, Arthur HARRIS, le général de division VALIN, en 1945.
La paix revenue, tout le monde oubliera que Harris (surnommé "le boucher" par ses hommes) n'avait fait qu'exécuter les directives du pouvoir politique. Il dut attendre 1953 pour être baronnet, honneur réservé d'habitude aux anciens membres des communes, et fit souvent part de son regret que ses équipages, dont les pertes s'étaient révélées très importantes, n'eussent pas bénéficié d'une médaille commémorant la tâche qu'ils avaient accomplie.
Mis sur la touche par la Royal Air Force, Harris repartit pour l'Afrique du Sud qu'il avait quitté, comme il le dit plus tard, "par accident, plus longtemps qu'il ne l'avait prévu", afin de traiter, "des affaires de guerre".
(source: L'Aviation N°25)