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HALIFAX GROUPES LOURDS FRANCAIS SQUADRONS 346 et 347 R.A.F
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31 janvier 2012

DE ZERALDA A LIVERPOOL PAR LE Lt BENOIST

RECIT

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Du Lt BENOIST Paul

 

De ZERALDA à LIVERPOOL

 

Du 26 Août au 8 Septembre 1943

 

sur l'ORBITA

 

Jeudi 26 Août 1943: J'ai passé une nuit assez bonne, je me sent moins fiévreux et pourtant sous la tente il ne fait pas chaud et de temps en temps j'éprouve quelques frissons. Ce ne doit pas être de la fièvre, j'ai à peine dans la bouche le goût amer, souvenir tenace de la quinine.

Tout le monde dors, quelle heure peut-il bien être?... Pas besoin de regarder ma montre, au loin la première sonnerie du réveil se fait entendre 5 heures 30.

HENAUT ronfle toujours, BECAM doit avoir mal réglé son réveil puisqu'il ne sonne pas 5 h 45, tant pis il faut se lever, POUGNET bouge et tout a coup "debout la dedans". C'est le cri de PETIT, qui comme un pantin sortant d'une boite sous la pression du ressort se trouve assis sur son lit et s'étire.

Je commence a me levé ma cantine n'est pas bouclée, j'ai a faire vite si je veux être à l'heure. BOURGAIN allume la bougie, POUGNET revient du "jus". Tout le monde est debout le quart à la main.

Un peu d'eau du bidon passé sur la figure fini de me réveiller, mes couvertures sont pliées, bouclées sur ma cantine, je suis prêt.

La bougie fichée dans le goulot d'une bouteille attachée au poteau central de la tente donne sous le vert de la toile une teintes blafarde aux hommes et aux choses.

Je me suis rasé, fatigué, un coup d'oeil dans la glace me montre une figure inconnue. Quelle heure ? Six heures 1/4, le rassemblement aux pieds des dunes doit avoir lieu à 7 h 30. Il me reste de l'eau dans mon bidon, vite un coup de rasoir je serai sans doute mieux. Voilà c'est terminé, mais ça ne va pas fort, si j'allais prendre ma température. Les hommes prennent leur cantines, je les suis, musettes et bidon à l'épaule, ma valise à la main... A la tente infirmerie, le "toubib" prépare ses bagages, je m'arme d'un thermomètre que je place et j'attends... 37°7, je pousse un soupir de soulagement.

Pendant la minute de thermomètre je m'étais vu fiévreux sur le bateau avec l'estomac creux et le mal de mer, moi qui pendant quelques jours avait assuré à tous que je n'étais sensible ni au roulis, ni au tangage.

Je suis réconforté par ce témoin qui puise dans notre cercle intime la vérité sur nos maux. Je pars au rassemblement plus fort et même je sais que je vais avoir faim. Quelques minutes d'attente, puis sur la route un nuage de poussière le ronflement des moteurs le grincement des pignons; ce sont les camions anglais de la R.A.F. qui viennent nous prendre.

Les voilà arrêtés, chaque groupe prend place, je me tasse le long d'une ridelles, l'air de la mer est froid. 7 h 45 nous voilà parti. Adieu Zeralda... Je ne regrette ni les dunes, ni l'abondante et saine cuisine, oeuvre du Cne LAPEIJRE qui à fait de très gros efforts pour nous faire maigrir et nous intoxiquer.

Guyotville, St Eugène, Bab-el-Oued, Alger, nos quinze camions a cette heure matinale font un tel vacarme que les fenêtres s'ouvrent à notre passage, des têtes ahuries se penchent aux balcons. Qu'est-ce qui se passe ? On pourrait lire cette question sur tous les visages. A qui ou à quoi pouvons nous bien ressembler pour attirer tout l'attention du public ?

J'entends dire "Des prisonniers" Et ma foi... Qui sait !...

Voilà le port, sa rade, une foule de bateaux de toutes sortes de toutes couleurs, de toutes les grosseurs semblent nous attendre. Nos yeux se fixent sur eux comme pour chercher celui qui va nous emmener vers l'aventure. Lequel ?... A quai, plusieurs sont en cours de chargement ou de déchargement, nos camions après quelques virages difficiles et des manoeuvres savantes autour des caisses et de tas d'objets les plus divers viennent se placer face a un bâtiment assez imposant passerelle baissée, sur les ponts duquel grouille une foule de gens dans des costumes les plus bizarres.

Ce sont sûrement des militaires anglais ou comme tel, j'ai l'impression que nous ne seront pas seul à bord. Défense de descendre des voitures, les commissaires du port s'affairent a notre intention. Sur l'avant du navire un nom agréable attire nos regard "LETITIA" on doit être bien dans ses flancs.

Mais hélas ! Désillusion nos camions se remettent en mouvement, font demi tour et nous nous trouvons face à un autre bateau, moins gros, moins beau, entièrement peint en noir sur lequel se trouve aucun nom. Nos espérances tombent, sûrement que nous ne seront pas aussi bien. Enfin, quoi faire ? Nous descendons des camions, on va nous nommer pour nous désigner nos places a bord.

Cabines 263. Sous-Lieutenant NOEL, BENOIST, GLEZES.

Nous montons les marches d'une passerelle branlante au flanc du navire, il est quand même haut, je n'arrive pas à la dernière marche. Enfin m'y voici. Un "Waiter" m'indique la direction je reprends un peu d'espoir, la plus grande propreté règne a l'intérieur, je descend un étage et suis un couloir jusqu'à la cabine de 2ème classe qui doit être notre gîte.

Elle est petite, trois couchettes marines, un lavabo, une armoire avec glace c'est tout l'ameublement. Il fait chaud, pas de hublot seulement un canal d'aération. Au plafond un ventilateur... Chic ! Vite l'interrupteur que je change l'air. Rien ! Il ne marche pas, il faudra que je m'occupe sérieusement de sa remise en état. Je sens de plus en plus la faim me tirailler l'estomac, lorsque un second "Waiter" nous invite à gagner la salle a manger pour le "Breakfast"...

Quelle chance, il est bientôt 10 heures nous passons dans une salle à manger spacieuse qui nous est indiquée par un panneau "Officiers". Des tables sont mises, les nappes bien blanches sont recouvertes par un couvert en argent massif des plus pur, nous espérons un bon réconfort. Hélas ce n'est pas encore pour maintenant, on monte nos cantines à bord et nous sommes invités à venir les reconnaîtres et a les diriger vers nos cabines.

Le temps passe, mais pas ma faim. Après une heure d'attente voici mes bagages, je m'installe, il est maintenant trop tard pour songer au petit déjeuner, mais j'apprends que le "Lunche" est à midi, je reprends espoir, mon estomac aussi. Enfin la cloche appelle pour le repas, c'est la ruée vers l'escalier, je pense ne pas être le seul à avoir faim, les places vont se faire chères. Enfin j'en tiens une, le menu du jour est proprement imprimé sur un carton bristol, trois repas, qui ma fois bien que je ne comprenne guère leur composition me paraissent très engageant.

Le service commence, servi par portion, potage aux légumes, poisson au riz, grillade avec pommes cuites a la vapeur et haricots verts, gelée de fruits avec une crème, le tout arrosé d'une bonne carafe d'eau bien pure et d'une tasse de café au lait. Le tout est mangeable et je reconnais là la cuisine anglaise à laquelle je me suis assez difficilement habituée en 1940, mais comme il faut en prendre son parti et ne pas mourir de faim, je mange bien. Beaucoup de camarades hésitent, tourne leur assiette soupèsent, sente, goûte, font multiples grimaces, ils faudra pourtant qu'ils s'y fassent. Maintenant c'est l'attente du départ, on charge le bateau, bagages, vivres, troupes, les poulies grincent, les hommes crient dans les manoeuvres. Je continue mon installation, on distribue des appareils de sauvetage individuels, plus tard, je connais l'appareil, c'est le même modèle que celui que l'on nous distribua à bord du "Batavier IV" lors de mon retour d'Angleterre en juin 1940.

Batavier_IV_1902_03

Batavier IV.

http://www.simplonpc.co.uk/Batavier.html

Mais comment donc ce nomme notre bateau, aucun nom sur sa coque ne l'indique. Les avis aux passagers sont inscrits en deux langues, anglais et espagnol. Il faut que je visite un peu. Sur chaque perron de l'escalier de magnifiques tableaux à l'huile attirent mon attention. Une grande cathédrale est particulièrement jolie, je m'estasie, lorsque un monsieur anglais probablement un vieil officier m'esplique que c'est Londres, une des grandes tours est la fameuse tour du parlement avec son carillon Westminster dont le son des cloches est envoyé au monde par T.S.F. Pouvant me faire comprendre j'en profite pour poser les questions qui me viennent. L'"Orbita" de la "Pacific stream navigation company" son port d'attache est Liverpool, il fut construit en 1915, mais a eu une bonne marraine car il a déjà beaucoup navigué. Il était avant guerre affecté aux lignes Angleterre-Amérique du Sud et depuis sert qu'aux transports des troupes et du ravitaillement, il a subit des transformations à cet effet, mais il est solide, résiste bien à la mer... Nous ne serons pas trop mal.

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L' Orbita.

Partirons-nous ce soir ?

Chacun se pose cette question, on embarque toujours. Voici un groupe de civils, hommes, femmes, enfants. Ce sont des familles évacuées de Malte. On porte un enfant d'une douzaine d'années, il n'a plus de jambes, victime des bombardements de l'île, il semble heureux pourtant , il rit, grâce à son âge il ne se rend pas compte de ce que sera sa vie.

Voilà qu'à bâbord une sirène retenti, c'est un navire chargé qui va prendre place au large dans un convoi, il bat pavillon belge, je lis "Léopoldville" il est bondé de troupe.

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Léopoldville.

Sur notre arrière les remorqueurs se préparent, est-ce pour nous ? Non car tout à coup notre bateau est ébranlé par un choc. Ce sont eux qui en tirant un autre gros bateau nous ont fait tamponné. Pas de dégât, quelques manoeuvres supplémentaires et enfin le "Christiaan Puydens" quitte à son tour le quai.

Mais voici six heures, l'heure du dîner, la cloche sonne, on reprend place à table. A mon avis bon dîner, pour moi c'est suffisant, manque le vin, tant pis, je vais faire une cure de désintoxication, à mon retour j'aurais un foie, un estomac, des intestins, tout neufs.

Sur le pont. Oh ! mais qu'est-ce qui se passe. Stupéfaction collective. Les maisons blanches a flanc de coteau de la ville d'Alger s'estompent dans le soleil baisant, nous sommes en pleine mer au milieu d'une vingtaine de bateaux remorquant chacun un petit ballon de protection. Nous voilà partis, ce fut vite fait, la mer est d'huile pas une vague ride sa surface. Bon début, l'état de la mer ne permet pas les actions sous-marines, je crois que nous pouvons dormir tranquilles.

Avant de me coucher, je répare le ventilateur car il fait toujours bien chaud. Rien de grillé, rien de cassé, voilà ça tourne.

Bonne nuit à demain.

Good wight L'Il ses you to morrow

Vendredi 27: La nuit s'est très bien passée, j'ai dormi tranquillement, il est sept heures il faut se lever le "Breakfast" est a 7 h 45, j'ai encore faim. Toilette, tour de pont, rien à l'horizon la mer est toujours calme, a gauche, les côtes d'Afrique s'effacent dans le brouillard matinal. Nous voyageons en zigzags à la vitesse moyenne de 12 noeuds environ, nous n'avons pas encore passé la baie d'Oran, nous y seront sur la fin de la matinée.

Nous avons rassemblement, on désigne les canots de sauvetage par groupe. Chaque matin a 10 heures il y aura rassemblement obligatoire devant chaque station 6A, ce ne sera pas un bien gros travail. On nous indique également les modalités des signaux d'alertes et le Cdt d'armes du bord, un officier Anglais qui ne semble pas vouloir rire nous fait savoir son intention de faire très souvent des manoeuvres fictives et menace de prendre des sanctions énergétiques pour ceux qui voudraient s'y dérober.

Les sous-officiers se plaignent, ils sont logés avec la troupe, ils ont des hamacs a installer dans les "docks" de l'avant, leur nourriture est insuffisante et se figurent qu'il sont désavantagés en comparaison de la troupe anglaise. Je ne pense pas cela car je vois les sous-officiers et soldats anglais installés un peu partout sur les ponts, sur le gaillard AR, a tous les endroits ou ils peuvent étendre les couvertures pour se rouler dedans.

Une cinquantaines de jeunes officiers de marine couchent par terre dans le salon de fumeurs. On aurait très bien pu nous laisser cette place à nous, qui ne sommes que des invités... La journée se passe, vers onze heures nous apercevons au loin Santa Cruz, la madone d'Oran puis plus rien, la côte. Vers le soir une bande de terre à droite nous indique le voisinage de l'Espagne.

Mais que se passe t-il tout à coup; un escorteur de tribord fait demi tour et fonce vers un point noir à l'horizon, le contourne, explore les parages; il stop; un autre escorteur le rejoint, puis derrière eux une lueur et un jet de fumée, quelques coups de sirène rejetées par chaque navire, font battre les coeurs, tout est calme pourtant, mais voilà que simultanément chaque bateau allume a son tour une boite à fumée et la jette à la mer. Dans quelques secondes nous avons derrière nous un rideau d'épaisse fumée noire et c'est tout, la nuit arrive sereine, la bise souffle du large les esprits sont calmé "Exercice" dit-on. Croyons le cela vaut mieux, le Black out est complet, sur les ponts on se cogne un peu partout et c'est a tâtons que l'on trouve la porte bien calfeutrer du Living-Roon.

Au salon de nombreuses tables de bridgeurs, un orchestre improvisé, piano, saxo et jazz agrémente un peu le moment. Je me sens fatigué je gagne ma cabine en songeant qu'à l'aube, nous seront probablement en vue de Gibraltar. Ferons nous escale ? Mystère.

Samedi 28: -7 h 15, j'ai de la peine pour m'éveiller le battement saccadé des machines me rappelle ou je me trouve, le bateau ne semble pas bouger, la mer doit être calme. Vite un peu de toilette, pour pouvoir faire un petit tour sur le pont avant de déjeuner. Sommes nous loin de Gibraltar ? Un coup d'oeil a bâbord me montre encore les côtes d'Afrique tandis qu'à droite, vers l'avant on aperçoit le gros rocher légendaires "Gibraltar".

Nous voyons à peine La Linéa et rentrons dans la baie d'Algésiras. Gibraltar est devant nous avec les murailles étageant ses fortifications; ses maisons jaunes carrées, sans décors forment à ses pieds un ensemble sévère. Le port s'étend à perte de vue dans la baie. Une multitude de bateaux sont en rade, bateaux de commerce de tout tonnage, bateaux de guerre, porte avions, hydravions même, qui croissent pour prendre leur envol. Notre convoi s'égrène et tour a tour les bateaux stoppent à quelques cent mètres du port.

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Gigraltar

Combien de temps resteront nous ici ? Dix heures nous disent les gens de "l'Orbitan". A 10 heures traditionnelle manoeuvre de rassemblement aux chaloupes; on nous demande d'écrire à nos familles. Lettres discrètes, qui devront être remise à la salle de service avant 16 heures. Qui de nous n'écrit pas, c'est une avalanche de lettres, le Cpt Le Blevec qui en assure la censure est submergé, surtout que sur beaucoup des corrections s'imposent les indiscrétions sont nombreuses, malgré les recommandations.

La nuit arrive et rien ne fait présager au départ prochain. Nous faisons du "footing" sur les ponts, pour nous dégourdir les jambes, ces promenades par petits groupes, nous donnent quelques chose d'Anglais; sans doute l'ambiance !...

La nuit est complètement venue on suit par distraction les évolutions des torpilleurs, des chasseurs de sous-marins qui gagnent leurs postes de veille. Le "Black out" ici n'est pas observé et même tout à coup une multitude de phares s'allument ensembles au niveau de l'eau, balayent la mer de leur pinceau de lumière. Sous ces feux l'onde scintille, prend des tons phosphorescents qui donnent à la baie un aspect de féerie.

Chaque soir la même manoeuvre à lieu à la même heure et se renouvelle plusieurs fois dans la nuit. Ce sont des moyens de recherche de barques clandestines qui des côtes d'Espagne pourraient se faufiler à travers les bateaux pour y effectuer des manoeuvres malveillantes.

Dimanche 29: Les machines ne trépident pas, nous devons toujours être à Gibraltar. J'ai très mal dormi, toute la nuit des fortes explosions se sont fait entendre. Coups de canons, éclatements de mines ? A qui poser la question pour avoir une réponse précise. Les uns répondent par là que ce sont des grenades marines lancées dans la baie pour émotionner les indiscrets qui essaieraient de traversé, d'autres assurent que ce sont des mines dérivées et repêchées que l'on fait sauter. Pour moi je n'ai aucune idée.

Seulement nous sommes toujours là nous pouvons écrire de nouveau les lettres devront être remises avant midi. J'écris la même lettre que la veille puisque l'on ne peut rien mettre de nouveau. Je l'adresse à Salé au lieu de Meknès, j'ai songé qu'elle arriverait plus tôt dans le cas ou ma chère Thérèse et ma petite fille chérie seraient a la colonie de vacances. Je pense beaucoup à vous pendant ces longues journées. Tourné face au sud je songe que 300 km a peine nous séparent. Ce sera sûrement le point ou pour quelques temps nous serons le plus près les uns des autres. Nous espérons partir ce soir, mais je doute.

La nuit est de nouveau venue et nous ne sommes pas partis.

Lundi 30: Rien de nouveau, nous ne partons pas encore, le temps devient long. Les tables, au salon sont prises d'assaut par les hommes. Quelques musiciens bénévoles tapent un peu de piano, c'est monotone. La journée est passé, peut-être que demain...

Programme_chorale_Marnix

Programme de la chorale du paquebot VAN MARNIX du 5 octobre 1943.

(collection: Eric SUTOUR)

Programme_chorale_Marnix_2

(collection: Eric SUTOUR)

Mardi 31: Rien, toujours le même paysage. Les bateaux tournent sur leurs ancres, mais partout ou la vue tombe nous rencontrons un paysage connu. On dit que nous partirons ce soir. Cela m'étonne, je ne pense pas que le passage du Détroit se fasse de nuit

Non ce n'est pas pour aujourd'hui encore, mais je sens quand même venir le départ. Tout les navires de notre entourage, l'Orbita lui-même, poussent leurs jeux, de panaches de fumée noire sillonnent le ciel, l'air est chargé de l'odeur de mazout, ce sera sûrement pour l'aube.

Mercredi 1 Septembre: Je suis éveillé depuis longtemps, je ne suis guère fatigué avec les siestes que j'ai pu faire pendant ces quatre jours. Rien ne bouge à bord 7 heures. Un grincement de chaînes, à l'avant les trépidations d'un cabestan. Voilà l'heure du départ ! Ouf ! j'en avais assez, l'esprit est tendu vers l'inconnu, il lui faut du changement.

Vite habillé et sur le pont, mon premier coup d'oeil est vers la passerelle, elle été complètement relevée, le bruit de chaînes et de cabestan c'est l'ancre que l'on retire. Tout le bâtiment commence à vibrer, voici le départ. Le soleil se lève difficilement ce matin, nous sommes à peine sorti du port qu'un brouillard épais nous couvre totalement, on ne voit pas à 20 mètres. C'est juste si on distingue une bande de marsouins qui prennent leurs ébats autour du bateau. Sont-ils curieux dans leurs évolutions, ils bondissent deux par deux, sortant de l'eau pour y replonger aussitôt.

On dirait qu'ils veulent nous souhaiter bon voyage.

Celui-ci s'annonce assez mal d'ailleurs, le brouillard est de plus en plus épais. Les navires donnent leur position par coups de sirène très rapprochés qui jettent une note lugubre au jour naissant. On avance lentement, puis nous voilà stoppé. L'équipage prend le fond, la sonde entraîne le fil qui se déroule rapidement; il en passe des mètres, nous devons encore être en sécurité.

Les heures se passent, nous sommes tous aux aguets d'un éclairci, nous cherchons un peu de soleil dans l'ombre du manteau opaque qui nous couvre.

Seul le hululement des sirènes troublent la solitude du lien. Enfin là vers 15 h 30 le soleil qui change au dessus de la nappe épaisse de brouillard arrive à percer. Nous revoyons d'abord la haute cime de Gibraltar, puis les côtes marocaines et enfin l'entrée du détroit, aussitôt le convoi reprend sa marche, le ciel est complètement découvert, le soleil chaud, la mer calme. Nous entrons dans le détroit, des deux côtes la terre passait toute proche malgré les 14-15 km qui les séparent. Bientôt nous apercevons a l'horizon une vingtaine de navires, sont ils de notre convois ? Non car bientôt ils grossissent, se rapprochant, c'est un convoi qui rentre en méditerranée. Nous nous trouvons en face de Tanger qui aligne ses maisons blanches le long d'un coteau verdoyant. Dans quelques heures nous perdrons de vue et les côtes Africaines ou tous nous laissons un peu de nous mêmes, et les côtes Espagnoles partie du continent sur lequel nous espérons bientôt reprendre nos droits

Je reste longtemps accoudé au bastingage de bâbord, les yeux fixés au loin en direction de la côte marocaine, aussi loin que l'horizon, et la nuit tombante me permettent de voir. Je songe à vous, ma femme, ma fille, qui peut-être au bord de ce même Océan, fouillez du regard le large pour vous rapprocher de moi.

Hélas bientôt des milliers de km vont nous séparer.

Jeudi 2 Septembre: Ce matin les mouvements de bateau sont accentués, les boiseries craquent, le temps semble mauvais. Un tour matinal sur le pont me montre la mer houleuse, les navires plongent très avant dans l'écume des vagues pour remonter très haut sur les lames. Le tangage est très fort mais peu de roulis, je ne me sens pas du tout incommodé. Les vagues fouettes les flancs de l'Orbita avec rage, le vent du nord souffle avec fureur, les embruns passent par dessus les ponts, l'eau ruisselle, le ciel est noir, il fait vraiment pas bon dehors.

Que de défaillants aujourd'hui à la salle à manger, par contre que de têtes penchées par-dessus les bastingages et seulement agitées par les hoquets des nausées traditionnelles. Triste spectacle, le rassemblement du personnel, à 10 heures aux couleurs comme chaque jour, donne une preuve du dégât causé par la mer.

Ce soir on dirait que le temps va être plus clément et va nous permettre une bonne nuit. Je n'ai pas beaucoup sommeil, cet après-midi lassé de regarder les bateaux faire leur gymnastique effrénée sur les vagues j'ai fait une bonne sieste.

Le salon est presque vide, l'orchestre a peu de succès. Au moins ce soir on peut approcher un peu du bar ou trouvé un Porto et un Rhum assez valeureux.

Vendredi 3 Septembre: Aujourd'hui calme complet, la mer dont la surface est a peine animée d'une houle légère ressemble a un immense tapis de laine bleu sur lequel un enfant aurait disposé ses bateaux de plomb

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Catalina Squadron 202 R.A.F.

Nous naviguons toujours vers l'ouest. Cette nuit nous avons retardé nos montres d'une heure, nous devons voisiner le méridien 20° ouest et avons passé ces limites d'un fuseau horaire. Sommes nous loin des Açores ? On ne voit rien que ciel et eau. Nos escorteurs font bonnes garde on dirait deux lignes de rugbymen prêts à s'affronter. A l'arrière deux croiseurs ferment la marche et a chaque moment nous apercevons quelques Libérators ou Catalina qui nous survolent et patrouillent en avant. Le mouvement de sécurité doit être mis en oeuvre.

Cet après midi nous avons mis le cap N.O. demain il faudra que j'essais de situer a peu près notre position.

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Consolidated Catalina Squadron 202 R.A.F. à Gibraltar.

Samedi 4 Septembre: Tout est calme, le soleil se lève, nous marchons plein nord. Nous avons encore retardé nos montres d'une heure, nous voici maintenant a l'heure du Méridien de G. On discute fort pour savoir ou nous sommes. Un camarade a un petit Atlas de poche, je vais essayer de faire un relèvement approximatif. La marche du convoi a été toujours a peu près uniforme. Je compte sur la distance Alger-Gibraltar une moyenne de 13 noeuds, environ 24 km/h de route. Nous avons fait environ 40 heures de route en océan avec cap Ouest, 1000 km environ qui nous emmène a mi chemin des Açores au voisinages du méridien 20° Ouest mais sans le dépasser.

Depuis nous faisons cap Nord-Nord-Ouest depuis 3 heures environ, ce qui nous a fait suivre une ligne sensiblement parallèle au méridien sur une distance de 750 km environ et nous situe a hauteur de la cote Nord de l'Espagne et a environ 900 km de celle-ci, vers 17h00. Demain nous serons face à la France, à Bordeaux mais à 1500 ou 1600 km. Les marins du bord nous disent que nous devront aller contourner le nord de l'Irlande pour gagner Liverpool par le canal du Nord. Le canal St Georges entre l'Irlande et l'Ouest de l'Angleterre est fermée à la navigation. 

Je compte qu'il nous reste environ 2600 a 3000 km à parcourir ce qui nous ferai arriver mercredi 9 ou jeudi 10 septembre. Si nous mettons le Cap-Est pendant quelques heures nous pourrions arriver aux voisinage des côtes Sud-Ouest de l'Irlande et longer la cote Ouest dans ce cas nous pourrions voir cette île lundi soir ou mardi matin par tribord. Je réserve mon jugement, mais nous verrons bien.

Allons une autre journée de terminée, comme chaque soir je vais demander a Dieu de nous faire une bonne nuit et d'attendre sa protection sur mes êtres chéris.

Dimanche 5 Septembre: Aujourd'hui le mauvais temps semble se remettre de la partie, il commence a faire froid par moment il pleut même. A 10 heures on disait qu'il y aurait messe à bord, je me prépare à y aller, mais ce ne sont que des prières de l'église orthodoxe dites sur le pont. Je me tiens à l'écart mais j'associe mes pensées avec celles de ceux qui prient comme nous pour un sel Dieu, un seul maître.

Un de nos officiers à eu l'idées d'embarquer quelques livres qu'il prête a tour de rôle. Je m'en suis procuré un, c'est un roman policier assez captivant, je vais lire, les heures passeront plus vite.

La journée est passée, nous mangeons peu, tout n'est que conserves, nous sommes bien servi, mais nous nous faisons difficilement à la cuisine. Depuis deux jours ont peut avoir du vin pour 4 Schilling la bouteille, c'est cher, mais a notre table nous en prenons au repas de midi que nous payons a tour de rôle. Bien que de qualité supérieur, pour un vin Anglais, il proviens de leur colonie Sud-Africaine du Cap, il ne remplace pas un bon Bourgogne ou un Bordeaux, mais il nous met quand même un peu de soleil au ventre.

Lundi 6 septembre: Toujours même temps, la nuit a été mauvaise, nous sommes toujours entre ciel et eau et naviguons Nord-Est, nous n'avons pas fait de mouvement Est comme je le pensais, nous ne rattraperons donc les côtes d'Irlande qu'au Nord de cette île.

Quoi faire en attendant ? Je lis, je dors.

Une note de la décision de bord nous recommande de nous coucher tout habillé. Cela n'est pas pour remonter le moral des tourmentés. Les autorités du bord craignent les mines, particulièrement dangereuses à la navigation et qui peuvent se trouver aux abords des Îles Britanniques. Cette prudence nous prouve que notre voyage va bientôt prendre fin.

Mardi 7 septembre: Le soleil ce matin a percé très tôt la brume, si ce n'était la brise marine il ferait même chaud, mais le souffle qui vient du large fait passer des frissons. Tout est calme, tous les yeux cherchent à l'horizon la bande brune qui annonce la terre, mais rien encore, de l'eau, de l'eau à perte de vue. La mer est plus calme et parfois sous l'action de l'éclairage solaire tombant d'aplomb sur l'horizon, le ciel prend au niveau de l'eau une ombre mauve qui un instant pourrait faire croire que les côtes vont se dessiner, mais comme en plein désert de sable, ici aussi ce n'est qu'un mirage. Ce soir surprise au tableau d'ordre du bord, on nous avise d'avoir à avancer nos montres d'une heure pendant la nuit. J'avais oublié que l'Angleterre avait également l'heure d'été, nous devons approcher du but.

Un autre avis qui fait pousser bien des soupirs d'espérance, fait savoir que sauf imprévu dans l'horaire, nous serons dans l'estuaire de la Mersey jeudi 9 septembre vers 15 heures.

C'est sur cet estuaire que se loge le port de Liverpool.

Mes prévisions ne m'ont pas beaucoup trompés, demain nous seront au nord de l'Irlande.

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Mercredi 8 Septembre: Belle journée en perspective, le soleil se lève mais le vent est froid. le soleil se lève mais le vent est froid. Nous naviguons plein Est et nous commençons a voir au loin se dessiner les côtes d'Irlande mais elles sont encore bien loin.

Peu à peu pourtant on les voit qui se rapprochent, elles sont très découpées de nombreuses petites îles la bordent, vers la fin de l'après-midi nous doublons le cap malin puis nous tournons vers le Sud pour rentrer dans le canal du Nord entre l'Irlande et l'Ecosse.

Vers 17 heures le convoi s'est disloqué, un paquebot "le Léopoldville" prend la direction de Glasgow, l'Orbita va sur Liverpool, le reste du convoi se dirige vers le Nord de l'Ecosse.

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Liverpool la Mersey

Nous serons demain matin très tôt à Liverpool.

(collection: Jean-Paul DELMAS le petit-fils du Lt Paul BENOIST)

Merci JeanPaul pour ce superbe récit.

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Commentaires
D
C'était la guerre.<br /> <br /> mais nous avions vingt ans et pour nous la peur n'existait pas , l'aventure et notre patriotisme seuls comptaient.Nous aurions vécu cette belle aventure si nous n'avions pas eu à pleurer nos chers camarades et amis morts pour leur courage et le mauvais sort. Chrétien je prie souvent pour eux.1
Répondre
M
Félicitation à tous ceux qui remémorent ces traversées, inoubliable pour nous.<br /> <br /> <br /> <br /> MERCI
Répondre
G
Bonsoir Philippe<br /> <br /> <br /> <br /> encore un récit intérressant<br /> <br /> <br /> <br /> A quand la suite ?<br /> <br /> <br /> <br /> merci<br /> <br /> <br /> <br /> Jean Michel
Répondre
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