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HALIFAX GROUPES LOURDS FRANCAIS SQUADRONS 346 et 347 R.A.F
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14 février 2020

A PROPOS DU RETOUR D'UN RAID

Au cours d'un raid sur Bochum

5 avions sur 16 du Groupe 2/23 Guyenne

ont été portés disparus.

par J. GAUDENS-RAVOTTI (Navigateur du Cpt ROY)

Chevalier de la Légion d'Honneur

Croix de guerre

Distinguish Flying Cross.

- " Allo ! Commandant la base nous donne l'ordre de nous poser à Pocklington" dit le radio de sa voix neutre.

Le radio était  un méridional passif et glacial que rien, pas même les plus beaux feux d'artifice tirés en notre honneur, ne pouvait émouvoir, sauf cependant les ennuis qu'il pouvait avoir avec  "sa mécanique". Dans ce cas, il lui parlait d'abord comme à  un enfant, en la raisonnant, en lui montrant l'inutilité de son entêtement stupide. Si ce moyen n'aboutissait à aucun résultat, son ton montait et s'enflait jusqu'à devenir celui de l'invective et cette lutte de la raison contre la matière mal domestiquée par la raison était épique et ne manquait pas de grandeur. Je dois ajouter d'ailleurs  qu'il connaissait admirablement son métier et qu'il est toujours sorti vainqueur de la lutte pourtant inégale dès le principe. Cependant, cette attitude nous avait toujours paru étrange  et dès notre entraînement, nous avions acquis la certitude que notre radio était inconscient des dangers que nous courrions du seul fait des conditions atmosphériques de la Grande-Bretagne où la brume sournoise, le gel perfide et le givrage soudain sont les plus intimes compagnons des aviateurs perdus dans un ciel maléfique.

Cette idée s'était trouvée confirmée dès le retour de notre première mission de guerre. Une terrible et soudaine collision survenue dans la crasse au-dessus  de notre propre terrain avait désemparé notre avion qui vibrait à voler en éclats et mis le feu  aux deux moteurs gauches. Si les vibrations ne démantibulaient pas notre appareil, le feu allait dans peu de secondes le faire exploser. Il devenait  nécessaire d'évacuer par parachute et vite! La règle d'évacuation par parachute n'imporsait de sauter avant le radio, en raison de la disposition de nos places respectives dans la carlingue, mais je devait m'assurer que le radio avait compris l'ordre de sauter et qu'il était en état de s'y conformer. Lorsque je me penchais vers sa place , au lieu de le trouver fébrile et anxieux, je le trouvais confortablement carré dans siège, le coude sur sa tablette, la tête sur sa main gauche, son éternel sourire aux lèvres et le regard vague, perdu dans un nirvana peuplé sans doute de selfs, de valves, de condensateurs et autres appareils de radio.

 

DABADIE 39313414

Halifax III - NA121 du Lt DABADIE.

-" Le Halifax du lieutenant Dabadie est attaqué par-dessous. Le feu se déclare immédiatement au moteur intérieur gauche. Le lieutenant Dabadie appelle le pilote, l'adjudant Guise, qui ne répond pas, probablement tué par la rafale. Dabadie donne alors l'ordre de sauter. Il ouvre la trappe d'évacuation avant, mais celle-ci se coince. Dabadie et le bombardier, le lieutenant Ponthuau, sont enfermés dans la partie avant de la carlingue. Le radio, le sergent-chef Alavoine, s'approche de la trappe. Dabadie lui fait signe de sauter et Alavoine évacue après avoir jeté un coup d'oeil vers l'arrière et vu le mécanicien, le sergent Lelong, tenter de mettre son parachute dans la fumée épaisse. Pendant ce temps, le mitrailleur supérieur, le sergent Vautard ouvre la porte arrière et se précipite dans le vide. L'avion tombe à Hückelhoven (20 km N.O. de Cologne). Ils seront les deux seuls rescapés. Dabadie et Guise ont été inhumés au cimetière de Hückelhoven. Les trois autres corps n'ont pas été retrouvés."

Pourtant, nous nous trompions et notre erreur dont nous ne sommes revenus que par un hasard qui lui a sauvé la vie, était d'une telle injustice  à son égard que, par pudeur, les autres membres de l'équipage n'en ont jamais parlé entre eux par la suite. Il nous restait encore à faire cinq ou six missions avant de profiter du repos de six mois imposé à tout le personnel de la R.A.F. et notre malheureux radio dépérissait à vue d'oeil,jusqu'au jour où l'un de nous s'est à l'interroger sur son état de santé. Ses réticences immédiates ont fait que ce qui n'aurait dû être qu'un entretien est vite devenu un interrogatoire. Somme de répondre , il avoua...Il avoua que ses poumons brûlés par l'oxygène nécessaire à chaque raid, le faisaient terriblement souffrir... Il avoua qu'il avait déjà, à de nombreuses reprises, craché du sang. Il avoua qu'il n'avait pas consulté le médecin du groupe, sûr qu'il était d'être interdit de vol et d'être contraint d'abandonner "l'équipage".

Cet équipage de Halifax! Mon équipage! Il était composé de sept hommes que rien ne hait, origine, formation, caractère, aspirations...Tout était à l'opposé. Et pourtant, je ne peux me défendre d'y penser sans une très vive et très spéciales émotion malgré les altercations violentes, passionnées même, qui nous ont dressés les uns contre les autres à certains moments. Mais, maintenant, avec le recul, le calme d'une paix reconquise, je pense que nos nerfs ébranlés par un travail inhumain sont les seuls responsables de cette division apparente que réelle. 

Le commandement de l'avion était au bombardier. Les équipages français n'avaient pas voulu se soumettre à la règle adopté par la R.A.F. en temps de guerre qui voulaient que le pilote soit commandant d'avion. Nous avions donc importé la vieille règle française qui veut que le commandant du bord soit celui qui, ayant le plus d'expérience aérienne, est le titulaire du plus ancien brevet de commandant d'avion. Nous étions deux à être titulaires de ce brevet et, sans conteste, les qualités de calme et de sang-froid qu'il a révélées dans diverses circonstances faisaient du bombardier le chef incontesté de cette unité riche de sept hommes , lourde de trente tonnes, puissante de 7200CV.

équipage-Henri-Martin-lieutenant-Hyenne

Halifax III - NA546 du Lt HYENNE.

-" De toutes les nuits vécues par les groupes lourds, celle du 4 au 5 novembre 1944 au cours de laquelle 5 équipages du groupe Guyenne sur les 16 engagés furent abattus par la chasse de nuit allemande est certainement la plus tragique. L'équipage du lieutenant Hyenne est abattu à Dashausen. Les 7 membres de l'équipage sont tués. Ils ont été inhumés au cimetière civil du champ de course à Dortmund (Ruhr) le 11 novembre 1944."

C'était un poète égaré dans l'armée (1), Toute l'aviation le connaît pour ses oeuvres, et si certains critiquent sa prose, pas un n'ose sourire pour ses "Prières pour les pilotes oubliés". C'était un poète, et lorsque nous nous rompions aux exercices de navigation astronomiques, il était bien plus séduit par le merveilleux des étoiles et par leurs noms évoquateurs que par la froide utilisation scientifique que j'entendais en fairepour fixer ma position sur la route... ou ailleurs. Si je lui demandais l'heure locale angulaire par rapport au point gama de Bételgeuse ou de Rigel du Baudrier d'Orion, il rêvait de poésie de ces mots sonores venus des légendes les plus anciennes et se moquait pas mal de mon besoin urgent pour la tenue de la route dont j'avais la responsabilité. Il en était de même avec les instruments radar dont nous pouvions nous servir, ces instruments mystérieux, son noms, de crainte qu'on n'en parle, et qui donnaient sur des écrans fluorescents des courbes harmonieuses et mouvantes ou encore un rayon lumineux tournant d'un mouvement désespérément monotone. Si je lui disais: "Gardez-moi ces signaux, ne les laissez pas filer". Il me répondait d'un ton de reproche, parce que je l'empêchais de jouir de la beauté des formes qui se seraient développées et sans cesse renouvelées sous ses yeux": "Bien ! je fais le gardeur de vaches vertes."

-(1) Jules ROY.

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Equipage du Cpt Jules ROY. Halifax III - MZ709.

De gauche à droite:

Bombardier: Cpt Jules ROY (Cdt d'avion). Pilote: Lt GRONIER. Navigateur: Lt RAVOTTI-GAUDENS J. Mécanicien: Adjt KOPP. Radio: Sgt DURAN. Mitrailleur-supérieur: Sgt/C KERGRENE. Mitrailleur-arrière: Adjt MOT.

(collection: Jean-Louis ROY)

Pour ces raisons, j'avais pris l'habitude de faire mon travail seul, et il m'en avait un certain gré. Je le laissais donc rêver tant qu'il n'y avait pas de danger, sûr de le retrouver vigilant, même téméraire, dès que le besoin s'en ferait sentir. Dans son désir de faire la guerre, il avait accepté, malgré son âge qui eût  dû l'en dispenser, un travail de bombardier qui, chez nous, était un peu considéré comme un travail subalterne. Il n'avait pas trouvé dans les équipages une place vacante de pilote, ce qui, en France, est considéré comme le seul emploi digne de considération dans l'aviation; et je crois qu'il était un peu paresseux pour chercher un emploi de navigateur. comme nous avions coutume de le dire par boutade: l'intellectuel de l'équipage.

Le bombardier avait, sur un chapitre au moins, un concurrent à bord, c'était le Pilote. Ancien élève de Centrale, il était d'une distraction qui parfois aurait pu s'avérer dangereuse et, d'un accord tacite, nous nous appliquions tous à le surveiller. Il réalisait cependant ce paradoxe  d'être tout à la fois distrait et le pilote le plus sûr que j'ai jamais vu. Sa distraction procédait de son admiration de la nature et des spectacles inoubliables que certaines nuits les habitants de la Ruhr ou d'ailleurs nous offraient sans compter à la dépense. Responsable d'un voyage qui aurait dû s'accomplir sans la moindre erreur ni dans la route ni dans l'horaire imposé, je suppliais parfois de porter un peu plus d'attention dans la tenue du cap et il répondait souvent ce qui selon mon humeur du jour me désarmait ou me portait au comble de la fureur: "Si vous saviez ce que c'est beau !"

 

BARON 100346382_o

Halifax III -NR181 - du Cpt BARON.

- " Dans la nuit du 4 au 5 novembre 1944 le Halifax du capitaine Baron est attaqué par un chasseur de nuit au retour de mission. Trois membres de l'équipage sautent en parachute et sont sains et saufs. Les quatre autres périssent dans l'avion qui s'écrase à 15 miles nord-est de Vandelindoven. Au cours de ce raid , le lieutenant-colonel Dagan de l'Etat-major de Londres avait tenu à effectuer une mission de guerre afin de se rendre compte de visu des difficultés afférentes. Cette nuit-là, il occupait la place de deuxième pilote. Lui aussi trouve la mort dans l'accident. Les cinq tués ont été inhumés au cimetière de Norf."

Nous formions à nous trois l'état-major et la troupe était constituée par quatre sous-officiers dont le radio était un des spécimens disparates. Le mécanicien. Lorrain bougon, têtu et fort comme un Turc, n'avait qu'une idée: se plaindre de tout comme si tout était dirigé contre lui. Comme Lorrain, il avait changer de nom pour le cas où il tomberait entre les mains de l'ennemi et pour qu'aucune représailles ne puisse être exercée contre sa famille. Il avait choisi le nom original de Leblond qui rappelait l'or de ses cheveux, et il nous avait demandé de ne l'appeler à l'avenir que par son nouveau nom. Nous l'oublions généralement et si, par hasard, dans le téléphone de bord, l'un de nous s"en souvenait, nous étions assurés de n'avoir aucune réponse, car il était le premier à ne pas se rappeler qu'il avait un nouvel état civil.

Le mécanicien contrastait étrangement avec le mitrailleur-supérieur qui, bien que Breton, semblait être un frère de Gavroche. Ses débuts à la guerre, dans l'équipage, n'avaient pas été heureux. Il avait découvert l'Angleterre, les girls et les pubs (les proches parents de nos "bistrots") et cet ensemble ne donnait pas de beaux résultats, car la guerre telle qu'on nous l'imposait, exigeait un certain ascétisme nécessaire au bon équilibre nerveux. Les premières missions avaient fortement impressionné ce pauvre garçon et sa nervosité nous avait inspiré quelques craintes sur son utilité dans les coups durs. Après une réunion de l'état-major de l'équipage. Il fut décidé de demander au commandant de groupe de nous donner un autre mitrailleur et d'envoyer le nôtre au repos en attendant de lui trouver un emploi sédentaire où ses nerfs aient un rôle moindre à jouer.

Après quinze jours de "vert" sur une  plage du Sud de l'Angleterre, ce garçon écrivait en nous suppliant de le reprendre. Sa lettre était émouvante et nous lui avons fait une nouvelle place auprès de nous: nous ne l'avons jamais regretté ! Dès la première sortie de l'équipage reconstitué ce fut une fête comme nous n'en avions jamais eu et notre mitrailleur subit  cette nouvelle épreuve du feu sans la moindre défaillance et même avec un courage qui nous a surpris. De nous tous il était peut-être le plus courageux, car il avait vaincu sa peur. Et évoquant ainsi son souvenir, je l'entends encore dire de sa voix gouailleuse devant un tir de barrage grandiose ou après la passe d'un chasseur qui ne nous avait manqué que parce qu'il y a un Dieu: " Allez donc cherchez çà dans le civil !"

Le dernier membre de notre équipage était le conspirateur de la bande: oeil noir du traître de mélodrame , poil noir, pensers noirs. Tout était noir, même ses plaisanteries. Et pourtant quel brave type, perdu, seul dans la queue de l'avion, suspendu dans sa cage vitrée au-dessus du gouffre insondable qu'il devait sonder malgré le froid intense qui déposait du givre sur ses sourcils et qui engourdissait tout à la fois, son esprit qui devait commander au pilote la manoeuvre, et son doigt qui devait ouvrir le feu instantané sur le chasseur presque sûr de l'impunité.

Car nous le savions, nos mitrailleurs ne nous serviraient pas contre les chasseurs décidés et hardis. Ils étaient là sacrifiés avec nous et nous servaient surtout à faire le guet contre cet autre danger terriblement réel et trop souvent réalisé de la collision.

Cette nuit-là la chasse allemande avait été particulièrement active. Tout au long de notre route et dès notre arrivée en territoire occupé par l'ennemi nous avions vu s'allumer les fusées que les chasseurs lançaient pour éclairer les avions et nous avions même  vu les lueurs caractéristiques des appareils amis s'abimant en flamme vers un sol peuplé de présences hostiles.

Le Commandant avait aussitôt annoncé dans le téléphone intérieur " Attention, mitrailleurs ! ça pue le chasseur ".

La mission s'était heureusement finie pour nous et nous avions laissé derrière nous une route jalonnée de masses incandescentes qui s'étaient abattues en tournoyant. Nous approchions de notre base, lorsque le radio dit de sa voix neutre:

"Allo  ! Commandant , la base nous donne l'ordre de nous poser à Pocklington ".

" C'est bien notre chance ", répliqua une voix dans le téléphone d'intercommunication. " Je vois justement le Sandra de notre terrain ".

Halifax III - NA548 - du Lt VLES.

-"Peu après le passage sur l'objectif, le Halifax du lieutenant Vlès est attaqué par un chasseur de nuit. Sévèrement touché, il prend feu immédiatement et commence à s'incliner. Le pilote, l'adjudant Hannedouche donne l'ordre d'évacuation. Le lieutenant Vlès, navigateur, ouvre la trappe d'évacuation avant. Il s'apprête à sauter quand, dans la fumée qui a envahi la carlingue, il aperçoit son radio, le sergent-chef Vlaminck, plaqué contre la paroi et dans l'incapacité de bouger. Il n'hésite pas. Il s'avance vers lui, réussi à l'extirper, à le tirer vers la trappe, au prix d'efforts inouïs, il le pousse dans le vide.

Quelques secondes plus tard, l'avion explose. Le pilote, l'adjudant Hannedouche, est éjecté de l'avion et se retrouve, descendant attaché aux sangles de son parachute. Le sergent Olive, mitrailleur arrière, réussit à sauter avant l'explosion mais est tué au sol par les Allemands. Les 5 autres membres de l'équipage périssent dans l'accident. Le sergent-chef Olive a été inhumé au cimetière de Burq. Le lieutenant Vlès, le Sous-lieutenant Lambert, les Sous-lieutenants Beauvoir et Limacher ont été inhumés au cimetière de Wermelskirchen.

Aller se poser sur un terrain différent du nôtre, cela signifiait de longues heures d'attente au pied des avions avant que les véhicules viennent nous prendre pour nous conduire à la salle de renseignements, un interrogatoire interminable car les officiers chargés d'y procéder ne parlaient généralement pas le Français, une marche interminable à travers la nuit pour découvrir le mess où nous serait servi l'oeuf au bacon des retours de raids et aussi une nuit passée dans une chambre, tout habillés avec comme seule couche un matelas jeté à terre et une couverture souvent douteuse. 

Ces "diversions" étaient notre cauchemar et nous avions coutume de considérer qu'une diversion était plus fatigante que la plus dure des missions. L'ordre était formel et le "Sandra" de notre terrain était visible ! Dans cette Angleterre en guerre, transformée en une immense plate forme d'aviation où les bases se touchaient toutes, pour simplifier les retours des équipages terrassés de fatigue et d'omotions de toutes sortes, on avait imaginé d'allumer sur les différents terrains des projecteurs en nombre variable qui formaient soit un simple angle de deux rayons, soit une pyramide à trois ou quatre arrêtes, de telle sorte que l'équipage qui se savait dans la région de sa base se bornait, si l'état du ciel le permettait, à chercher le "Sandra" de son groupe. A cette époque, notre "Sandra" était constitué par deux projecteurs parallèles tendus droit vers le ciel inclément qui ne rendait pas toujours les hommes qui s'y élançaient et qui, lorsqu'il les rendait les renvoyait meurtris et marqués à jamais dans leurs nerfs.

La curiosité est le propre des enfants, des femmes et des guerriers. Au lieu de mettre immédiatement le cap sur Pocklington, base voisine de trente milles, par un passager au-dessus de notre propre terrain, nous voyons dans la lueur blafarde de toutes les lumières allumées comme pour fêter ceux qui reviennent, au milieu de l'immense piste cimentée un misérable Halifax posé de travers et curieusement penché sur une aile.

" Sans doute un copain qui a pris du plomb et qui a cassé quelque chose en atterrissant" remarqua le commandant, car nos missions n'étaient réellement finies que lorsque l'avion avait regagné son aire et que les moteurs avaient étés arrêtés.

Dans les rafales de vent de la tempête qui fait rage au sol, le pilote, devenu maître de l'appareil puisque toute manoeuvre doit être faite dans une fraction de seconde, le pilote pose la machine encore lourde de plus de vingt tonnes malgré la charge de bombes laissés loin là-bas chez l'ennemi.

Une voiture légère surmontée d'une immense pancarte lumineuse "Follow me", nous invite à la suivre et évoque chaque fois que je la vois l'image d'une dame mise comme a dû l'être mon arrière grand-mère attifée de ce que l'on appelait les "Suivez moi, jeune homme". Pourquoi en ces moments de détente où l'on goûte toute la douceur de la planète, où l'on se rend compte que l'homme n'est pas fait voler ni pour respirer de l'oygèneau goût métallique qui dessèche la gorge et brûle les poumons, pourquoi suis-je amené à faire dans mon esprit , c'est à peu près qui n'est même pas spirituel. Sans doute est-ce parce que, après avoir fait un travail inhumain. Je me sens redevenir un homme avec un esprit d'enfant qui s'amuse de rien.

Le "Follow me" lumineux est remplacé sur le panneau par un "stop" rouge et impératif. Nous sommes arrivés au point où nous laisserons notre avion pour ce qui reste de la nuit et demain nous regagnerons notre base pour de nouveaux raids.

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Halifax III - NA549 du Cpt BERAUD.

-" Toujours au cours de la même nuit, le Halifax du Capitaine Beraud est atteint par une rafale de mitrailleuse d'un chasseur de nuit. Les sept membres de l'équipage réussissent à sauter en parachute. Hélas, deux d'entre eux ne survivront pas: le lieutenant Raffin tombe sur une ligne à haute tension et meurt électrocuté. Le Capitaine Beraud pour sa part tombe non loin de là, son parachute déchiré. Ils avaient déclaré que "quoi qu'il arrive", ils resteraient unis. Ils le sont dans la mort, enterrés dans le même cimetière, le cimetière communal de Stommein."

Le pilote et le mécanicien font la vérification des moteurs. Dans le téléphone de bord nous entendons de la voix monotone de comptable qui vérifient une longue page de chiffres: "2.000 tours - 2.000 - 2.100 - 2.100 - Magnétos - 50 de chute - Intérieur droit - Intérieur droit..." et ce colloque se poursuit interminable, tandis que malgré le casque nous entendons le hurlement des moteurs clamant leur puissance et leur fidélité sans défaillance à ceux qui se sont fiés à eux. Et l'un après l'autre les moteurs s'éteignent et le calme renaît lentement coupé simplement par le sifflement du vent de la tempête qui a nettoyé le ciel scintillant de toutes les étoiles, nos sûres amies toujours présentes dès qu'on atteint les mille mètres.

Nous descendons notre barda et nous jetons  à terre notre parachute et le pesant harnais qui durant sept heures nous a cisaillé les épaules et les cuisses. Malgré le froid et l'humidité, qu'il est bon de s'asseoir dans l'herbeaccoudé sur le dur coussin du parachute.Nous restons là, silencieux.Nous savons que rien ne pourra jamais exprimer les sentiments que nous venons d'éprouver, que nul ne pourra décrire ce que nous venons de voir.Nous savons que si nous y pensons trop aucun de nous n'aura le courage de repartie demain. Alors nous nous taisons. Mais pourtant le besoin de parler est trop impérieux, il faut parler, pour entendre une réponse, pour être sûr que nous sommes bien sortis de l'enfer. Et le mitrailleur supérieur dit sans conviction " Ces salauds vont nous laisser moisir longtemps ici au lieu de nous envoyer un véhicule qui nous conduira à l'interrogatoire!" Il n'obtient pas de réponse , mais sans doute est-il satisfait d'avoir entendu sa propre voix.

Devant moi , le ciel pur est barré des longs bras des "Sandra" des divers terrains qui nous entourent. Je distingue nettement les deux traits verticaux de notre propre terrain qui bien qu'inutilisable continue à faire signe aux avions de mon groupe qui n'ont pas encore donné de leurs nouvelles. Le temps passe on nous a sans doute oubliés. Tout a coup sur la gauche, très loin, un "Sandra" s'éteint. Le temps continue à couler et d'autre phare de rappel s'éteignent les uns après les autres.

Pocklington lui-même éteint sa pyramide lumineuse et les étoiles gagnent en éclat ce que la nuit a perdu de rayonnement. Je regarde autour de moi, tous les "Sandra" sont éteint sauf celui de notre base qui continue a se dresser contre ce ciel hostile qui ne rend pas tout ce qui lui a été confié. Puis insensiblement les deux projecteurs se mettent à osciller lentement, doucement d'un mouvement sans cesse plus ample. Et ces bras tendue qui tout à l'heure immobiles étaient un signe d'imprécation contre le ciel, deviennent maintenant, par leur lent mouvement implorant la supplication d'une mère à qui l'on à voler ses enfants.

(Revue de l'Aéro-Club du Maroc - Ailes marocaines - Juillet 1946 - Directeur: Bernard ROUGET)

(Source: Philippe ROUGET)

 

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